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Gardiens de phare : des histoires fascinantes
  • Phare de l’île aux Perroquets
    Patrick Matte

Gardiens de phare : des histoires fascinantes

Les phares du Saint-Laurent ont été des témoins importants de l’histoire maritime du pays. Ce fut aussi le cas des gardiens et de leurs familles, de courageux pionniers ayant pour mission de rendre la navigation sur le fleuve plus sécuritaire. Faites la connaissance de ces gardiens de phare qui ont laissé leur trace et qui marquent aujourd’hui notre imaginaire.

Phare de l’île Verte | Bas-Saint-Laurent

Gardiens de génération en génération

L’épopée des phares du Saint-Laurent débute à l’île Verte. Au printemps 1806, la Trinity House de Québec, nouvellement créée, choisit l’emplacement d’un premier phare. Il sera situé sur la pointe la plus au nord de l’île Verte, pour signaler à la fois la présence de l’île Verte et des récifs de l’île Rouge au nord, ainsi que pour sécuriser l’ensemble du secteur de l’embouchure du Saguenay, difficile à naviguer à cause des forts courants. La construction du phare prendra 3 ans et il sera allumé pour la première fois en 1809.

En plus d’être le doyen du Saint-Laurent, le phare de l’île Verte a vu défiler plusieurs générations de la famille Lindsay, gardiens de père en fils sur une période de 137 ans! Cette dynastie débuta en 1827, lorsque Robert-Noël Lindsay devint gardien du phare. Il occupa le poste pendant 40 ans. De ses douze enfants, Guilbert, le cadet, suivit les traces de son père. Après avoir été assistant-gardien au phare de l’île Rouge, il remplace son père à l’île Verte. Il fut gardien pendant plus de 20 ans, mais il ne put malheureusement pas profiter des joies de la retraite puisqu’un accident, alors qu’il peinturait la coupole du phare, le rendit infirme et mena à son décès quelques années plus tard.

Âgé de 16 ans seulement, son fils René W. Lindsay le remplace immédiatement après l’accident. Sensible aux conditions de travail difficiles des gardiens, il collabore avec d’autres à la création d’une association de gardiens de phare. 39 ans plus tard, à l’âge de la retraite, son fils, Joseph Alfred “Freddy” Lindsay, obtient le poste, qu’il occupe jusqu’en 1964. Le phare devient automatisé peu après, mais les deux fils de Freddy Lindsay seront tout de même gardiens à leur façon, en préservant la mémoire de leurs ancêtres.

Phare de Pointe-des-Monts | Côte-Nord

Des familles tissées serré

C’est 21 ans plus tard, en 1830, que le deuxième phare du Saint-Laurent est construit. Trois lieux sont envisagés et c’est la pointe des Monts sur la Côte-Nord qui est choisie. C’est un endroit où la navigation est dangereuse, à la frontière entre l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent... ou presque! En effet, le capitaine de port John Lambly est employé par la Trinity House pour identifier le futur site de construction du phare et il débute les travaux au mauvais endroit, sur un affleurement rocheux à près de 2 kilomètres en aval de la vraie pointe des Monts. Certains disent que c’est une simple erreur. D’autres croient qu’une chicane avec William Lampson, un commerçant qui avait acquis des droits de chasse sur le territoire, serait à la source de ce drôle de choix. C’est néanmoins à cet endroit que sera établi le phare de Pointe-des-Monts.

Le gardien du phare vit avec sa famille à l’intérieur même de la tour. Les six étages sont aménagés et servent de cuisine, de lieux communs et de chambres à coucher. Tous les soirs, le gardien allume les 17 lampes, toutes munies d’un réflecteur qui leur permettait d’être vues à plusieurs kilomètres. Les jours de brume, le gardien doit tirer un coup de canon toutes les quinze minutes. Nul besoin de dire que, lorsque la brume durait plusieurs jours, ce travail pouvait devenir exténuant. C’est pourquoi la famille du gardien pouvait parfois, de façon officieuse, lui donner un coup de main pour qu’il puisse se reposer quelques heures.

À cet effet, l’épouse de Zoël Bédard, gardien du phare de 1844 à 1867, fit une demande pour devenir gardienne après le décès de son mari. Louise Langlois s’était occupée du phare pendant la maladie de son mari. Malgré son expérience, elle essuya un refus de la part de la Trinity House, prétextant son âge avancé et le fait que ce n’était pas un travail fait pour une femme...

Phare de Cap-des-Rosiers | Gaspésie

Un gardien vigilant

Le cap des Rosiers, à l’extrémité est de la pointe de la Gaspésie, tient son nom de l'abondance de rosiers sauvages qui furent aperçus par Samuel de Champlain lors de son passage en 1632. Le phare y est construit entre 1853 et 1858, après que le secteur ait connu plusieurs naufrages importants. Ne lésinant pas sur les moyens, sa construction coûte alors 115 000 $ et sa lumière peut être vue jusqu’à 26 kilomètres en mer. C’est aujourd’hui la seule tour impériale encore debout au Québec.

La vie au phare est agréable parce que celui-ci est situé dans le village, contrairement à bien d’autres qui sont isolés. Cette proximité donne au gardien et à sa famille la possibilité d’avoir une vie sociale, de fréquenter l’école, l’église et d’appartenir à une communauté.

Durant la Seconde Guerre mondiale, c’est Joseph Ferguson qui occupe le poste de gardien. Le 15 septembre 1942, en scrutant les eaux, il croit apercevoir un U-Boat allemand. Ces sous-marins rôdent dans l’estuaire depuis quelques mois et le gardien sait qu’ils ont coulé plusieurs navires. Il sonne l’alarme à la défense civile, mais sa communication ne semble pas être prise au sérieux et l’information prend trop de temps à se rendre. Deux navires seront coulés ce jour-là, le SS Saturnus (Pays-Bas) et le SS Inger Elizabeth (Norvège).

Phare de l’Anse-à-la-Cabane | Îles de la Madeleine

Un gardien qui voulait un peu plus de sommeil

Entre 1855 et 1880, plus de 200 embarcations s’échouent aux Îles de la Madeleine. On y implante donc une série de phares à différents points clés de l’archipel. Le phare de l’Anse-à-la-Cabane (sur l’île du Havre Aubert) est le plus au sud des îles, ainsi que le plus haut (17,1 mètres). Deuxième phare de l’archipel à être construit, il coûte la modique somme de 6 828,01 $ et le premier gardien, William Cormier, l’allume pour la première fois le 30 juin 1871.

Certains gardiens sont astucieux pour alléger leurs tâches. À l’époque, le gardien devait se rendre au phare et monter les quatre étages par les escaliers étroits pour allumer et éteindre la lumière. Il devait aussi y retourner régulièrement pour remonter le poids (la rotation de la lumière d’un phare était assurée par un poids qui descendait lentement et qu’il fallait remonter à intervalle de quelques heures). Comme le phare fonctionne la nuit, le sommeil du gardien n’était pas... de tout repos.

Edmond Boudreau, le dernier gardien du phare, perça un trou dans le plafond du premier étage de la tour pour que le poids puisse descendre encore plus bas. Cette modification lui aurait permis de dormir une heure de plus entre chaque remontée. Il demanda aussi à son frère électricien de l’aider à relier le phare et la maison d’un fil électrique. Cette amélioration lui permit de contrôler la lumière sans sortir de sa chambre à coucher!

Phare de l’île aux Perroquets | Côte-Nord

Des gardiens écrivains

L’île aux Perroquets, nommée ainsi à cause de la présence de macareux moines, accueille son premier phare en 1888. Au fil du temps, plusieurs gardiens sur cette île de l’Archipel de Mingan s’adonnent à l’écriture. Le premier, le comte Henry de Puyjalon était un scientifique français attiré par les grands espaces canadiens, au point de devenir citoyen canadien au même moment où il devint gardien du phare. Il publie plusieurs ouvrages, dont Récits du Labrador et il devient l’un des premiers environnementalistes, en sensibilisant le gouvernement et la population aux risques de la surexploitation des ressources naturelles.

Placide Vigneau sera aussi gardien du phare de 1892 à 1912. Sa vie d’insulaire lui permettra de trouver le temps et la tranquillité pour l’écriture. À travers ses divers ouvrages, récits et notes, il lègue quantité d'information sur l’histoire maritime de l’époque.

L’ultime écrivaine de l’île aux Perroquets est Mary Collin-Kavanagh, femme de Robert Kavanagh, le gardien de 1948 à 1976. Ayant passé la majeure partie de sa vie sur l’île à élever une famille, elle raconte les aléas quotidiens de cette vie peu banale. Dans son livre Femme de gardien de phare, on vit avec elle les difficiles traversées en chaloupe jusqu’à la terre ferme. Elle nous parle aussi de cette traversée de décembre 1954 où le gardien Kavanagh et son assistant tombent en panne de moteur. Le vent se lève, la visibilité devient nulle. Pris dans les glaces, Kavanagh promet à la Vierge d’ériger une statue en son honneur. La glace s’ouvre devant eux, laissant un passage juste assez large pour y ramer. Ils reviennent sains et saufs sur l’île.

Promesse tenue. Depuis ce temps, une statue de la Vierge veille sur l’île et sur les navigateurs.

 

Des histoires de gardiens de phare, il y en aurait des milliers à raconter! Si cet univers vous interpelle, consultez le circuit de la route des Phares et prévoyez quelques arrêts à votre itinéraire! D’autres récits captivants vous y attendent!

Auteur Patrick Matte

Patrick Matte a photographié tous les phares traditionnels de l'estuaire et du golfe du Saint-Laurent sur une période d’un peu plus de 11 ans. Durant ses périples est née chez lui une passion pour l'univers maritime. Bénévole pour la Corporation des gestionnaires de phares du Saint-Laurent, il a tissé des liens avec les gens qui protègent et admirent ces monuments du patrimoine bâti.

Site Web : www.chasseurdephares.com
Instagram : www.instagram.com/chasseurdephares

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(5) commentaires

Claudette Chrétien

Je suis très intéressée par l'histoire des phares. BRAVO pour votre beau travail !

Claudette Chrétien

Je suis très intéressée par l'histoire des phares. BRAVO pour votre beau travail !

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Merci pour ce beau commentaire! :) | Marie-Eve - Équipe Québec maritime

Marie Maltais

J'ai voyager dans l’est de notre magnifique pays. J’ai toujours été fasciné de l'histoire des phares qui longe au bord des eaux ... merci pour l’info Et je vais certainement en lire de plus....

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Merci à vous de nous lire avec intérêt :) | Marie-Eve - Équipe Québec maritime

Ken Element

Je suis le fils d'un ancien gardien de phare. Merçi pour ces beaux reportages. Ça permet de ce remémorer des beaux souvenirs.

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Le genre de commentaire qui nous fait bien plaisir de recevoir, merci :)

Element Judith

Toujours émouvant de lire et relire les histoires des phares. Je suis moi-même issue de ce milieu du vent et de la mer .Mon père a été le dernier gardien de phare de Cap-Des-Rosiers,Yvon Element. Bravo

Le Québec maritimeLe Québec maritime

Ça nous fait plaisir! Merci de partager votre histoire! :)